Plonger
Ile d'Yeu - Août 2022 -
Samedi. À peine après avoir décollé de la piste 05 de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, juste derrière un Boeing de Ryanair, le contrôleur nous commande une altération de cap pour ne pas gêner les avions qui traitent un feu de forêt tout proche. Bien que davantage attentif au Dash 8 et à l’hélicoptère porteur d’eau qu’aux vignobles du Médoc, je me surprends à reconnaitre le Cos d’Estournel dont j’ai le souvenir des fameuses pagodes qui figurent sur l’étiquette de ce grand cru classé de Saint-Estèphe. Une de ses bouteilles, 1987, traine encore dans la cuisine ; vide. Nous atterrissons à La Rochelle. Nous profitons de la petite plage de la Concurrence qui semble bien paisible, tandis que le port pourtant tout proche est noir de monde. Le soir, après un tour dans la ville, nous dînons au Baron Moleskine sur une petite place au pied de l’église protestante.
Dimanche. Café croissant sur le port de La Rochelle. Le moment devrait être agréable mais pourtant une inquiétude commence à poindre: le vent souffle fort. J’appelle la tour de contrôle de l’île d’Yeu qui me confirme que le vent est de 20 kts dans le travers de la piste. C’est beaucoup. La limite de l’avion est certes de 22 kts de travers mais je ne suis pas sûr de mes propres limites de pilote en l’absence d’un entraînement conséquent. J’hésite. Je sais que la perspective de rater une journée sur l’île ne doit pas m’aveugler. Dois-je renoncer ? J’ai fait le plein de carburant la veille, et si les conditions à l’arrivée l’exigent je peux toujours faire demi-tour. Je me lance. Une fois en vol, on oublie le vent qui au sol fait un boucan du tonnerre en sifflant dans la verrière et en secouant le fuselage. Le stress reflue. Une demi-heure plus tard, nous sommes en vue de l’île d’Yeu. Au premier contact la tour m’informe des conditions : « Fox Juliette Québec bonjour, piste en service 14, vent 70 degrés 14 kts ». Je respire, le vent a baissé d’intensité ! Il reste cependant bien perpendiculaire à la piste. Je suis concentré, sans stress, je collationne l’information et m’annonce dans le tour de piste. Avant le dernier virage la contrôleuse me répète à nouveau ces mêmes valeurs de vent puis annonce en finale, mais de façon moins conventionnelle cette fois: « il y a un BON vent, PLEIN travers ».
Nous sommes posés. Cette année je n’ai pas oublié les cordelettes pour arrimer l’avion. Deux vélos rouges adossés au mur de la tour de contrôle nous attendent. Nous voilà bientôt partis à bicyclette vers Port-Joinville.
Après un déjeuner et une balade nous retrouvons notre crique préférée, dont je tairai le nom. La mer est fraîche comme j’aime. Pendant que Luana se repose au soleil encore chaud de cette fin de journée, je monte observer des jeunes que j’ai vu escalader les rochers. Ils sont 3 ou 4 qui sautent dans l’eau en s’essayant à des figures pas toujours très réussies. Un autre garçon est monté au sommet. On dirait qu’il veut sauter. Je m’approche de lui. C’est haut où nous sommes. Il crie aux autres: « Y’a du fond ? ». Il lance des petits cailloux pour voir. Il fait mine de se lancer en prenant de l’élan, crie encore que ça le démange d’y aller, réfléchit tout haut à la figure qu’il pourrait faire. Ça s’éternise. Peut-être est-ce un frimeur, il ne sautera pas. J’arme quand même mon appareil et me positionne avec un cadrage en tête. Au cas où. Le temps s’étire et je prends conscience que ce n’est pas rien un tel saut. Je m’inquiète tout à coup pour lui et le sentiment me vient que ma présence pourrait l’inciter à se lancer pour ne pas montrer qu’il se dégonfle. Alors je me recule légèrement, je regarde ailleurs, comme pour me faire oublier. « C’est HAUT non ? » finis-je par dire, comme pour briser la tension, comme pour l’excuser à l’avance de renoncer. « 12 à 15 mètres ». La lumière a faibli, elle est maintenant plus chaude. Le vent s’est calmé. L’atmosphère est paisible.
Il est dans l’air. J’ai dégainé mon Leica comme un cow-boy son Colt. Il a failli me surprendre mais j’étais prêt. Je suis bluffé qu’il l’ait fait. Il remonte déjà en escaladant les rochers. Il a du sang sur un pied. Je m’inquiète à nouveau: « Tu t’es blessé au pied ? » « Ce n’est rien, ce n’est rien, c’est en remontant, sur les rochers… »

Lundi. Nous survolons l’embouchure de la Gironde. Vers le sud cette fois. Le banc de sable du phare de Cordouan prend une jolie forme avec la marée. Je repense au petit échange que j’ai eu avec la contrôleuse à la tour avant de partir, au sujet du vent. J’étais monté payer la taxe d’aéroport. Elle m’avouait qu’elle n’était pas rassurée avec un tel vent, la crainte d’une éventuelle sortie de piste. « Il y a un BON vent, PLEIN travers ».
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